Syrie / métal, savon, pierre

Payram

  • Exposition

12.02 - 01.05.2016

  • Strasbourg

« Je suis iranien. Né iranien. Je suis photographe. Tireur. Exilé. Je suis toujours exilé. J’ai été contraint en 1983, de quitter définitivement l’Iran. J’ai alors arrêté d’écrire pour me consacrer à la photographie. 20 ans plus tard, j’ai été abasourdi de retrouver en Syrie l’image que je me faisais de l’Iran de mes grands-parents. J’ai reçu ce paysage comme un cadeau d’une autre époque. C’était comme entrer dans un rêve d’enfant fiévreux. Comme un brouillard qui se dissipe. Comme un rêve qui prend chair sur les traces d’un paradis perdu. Le Polaroïd 55 et l’épreuve – instantanée, unique et fragile – qu’il laisse m’ont permis de travailler des journées entières aux côtés des artisans syriens sans parler leur langue. Aussi j’ai donné beaucoup de ces épreuves aux Syriens que je rencontrais. Les photographies présentées sont une sélection de celles qui me restent. » Payram.

« J’ai cru comprendre ce qu’il me demandait ; moi seul pouvais me lever, debout, au milieu des flammes invisibles. Peut-être nos vies valent-elles pour un seul instant, un seul moment lucide, une seule seconde de courage. »
– Écoute.
Il fit chut avec son doigt, c’était tout de même magnifique d’être là, dans l’air frais.
– Parle, toi.
– La vie est courte, dit-il, sans savoir pourquoi.
Il posa doucement la main sur son bras.
– Au fond, elle veut sa part de cérémonies et de batailles.

– Dis-lui qu’elle l’aura. Qu’elle vienne dans les carrières des montagnes, dans le bazar du métal et sous les oliviers. Je l’attends. Les images d’actualité sont saisissantes. Tout est dit, nous dit-on. Non. Ces images réduisent la compréhension. Ce sont des symboles qui servent des discours. Nous nous devons de montrer des œuvres car elles défient la mort.
– Je suis un enfant syrien.
Il regarda la mère. L’enfant lui ressemblait. C’était exactement la même bouche, le même nez, le même front. Elle semblait l’avoir fait seule.

Céline Duval
« Rue des voleurs » de Mathias Énard, 2012, Actes Sud

À Damas, dans le vacarme sonore des travailleurs de fer, Payram s’évade. Il s’immerge dans un souvenir d’enfance, celui de son père qui l’accompagne au bazar de métal à Téhéran. Le même désordre bruyant, les mêmes cliquetis. Ce souvenir est le point d’ancrage du long travail photographique « Syrie / métal, savon, pierre ». À chacune de ses déambulations, une mémoire renaît, éveillée par les sens du photographe. À Alep, il redécouvre l’odeur enivrante de la savonnerie, celle des savons que sa mère achetait sur le marché de Maragheh. Les carrières de pierres syriennes, quant à elles, font écho aux conseils de sa grand-mère sur le chemin de l’école. Il devait détourner le regard au risque d’éclats.

Ce voyage en 2001 marque un tournant dans la vie du photographe : réfugié politique, chassé par l’avancée islamique d’Iran en 1983, Payram n’est alors jamais revenu sur sa terre natale. À 24 ans commence une vie d’exilé à Paris et la photographie devient son moyen de communication. 20 ans plus tard, la Syrie réanime en lui la fissure du souvenir, le poids de la mémoire.

Accompagné de son imposante chambre, et de tous les accessoires nécessaires, il se fond dans le quotidien. Il part à la recherche de la trace de l’Homme, de celle de son existence, d’un passé révolu qui l’a marqué.

En 2008, l’industrie du Polaroïd s’est arrêtée. Payram clôture sa série en usant des dernières plaquettes avec un troisième volet, la pierre. L’année 2011 marque le commencement de désastres sans nom pour le pays, date à laquelle Payram fixe les explosions des carrières minérales, à l’image d’un terrible présage. Le photographe nous offre ici le portrait d’une Syrie sans émeutes, sans massacres, une Syrie poétique.

Camille Bonnet

Payram est né à Téhéran en 1959. Il vit et travaille à Paris. À l’âge de 24 ans, il fuit l’Iran pour s’installer en France. Il est reconnu aujourd’hui pour son expertise du tirage chez Picto Bastille, laboratoire de développement et de traitement de photographie. Il est aussi intervenant aux Beaux-Arts de Paris et exerce le métier de photographe.

La photographie passionne Payram dès son plus jeune âge. À 13 ans, il réalise des prises de vues et développe ses tirages accompagné de son frère alchimiste. Travaillant exclusivement à l’argentique, Payram expérimente ce qu’il appelle « le paradoxe de la lumière ». Marqués par une justesse mathématique, ces clichés portent l’empreinte de leur auteur : une parfaite organisation des éléments, comme si un ordre cosmique imposait naturellement un équilibre idéal. Le photographe étudie l’accident entre la surface sensible et la lumière, cherchant à le maîtriser à la perfection.

Lecteur érudit de livres de photographies, il s’inspire des voyages de Paul Nadar – photographe précurseur qui sillonne le Tadjikistan au XIXe siècle pour tester le Kodak n°2 – et part sur ses traces. Dès 2001, commence alors une série de voyages au Moyen-Orient, en débutant par la Syrie. « Syrie / métal, savon, pierre » est le fruit d’un long périple d’une dizaine d’années. Les attraits de la Syrie lui remémorent les souvenirs d’enfance de son pays natal abandonné jusqu’alors. Il s’engage ensuite sur les chemins du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan. L’Iran sera un retour photographique, Payram se rapproche lentement des frontières.

Payram est représenté par la galerie Maubert à Paris.