25 juin 2020
L’orage gronde, le ciel est de plus en plus noir. Soudain la pluie tombe. Pas de doute, ce matin, le café se prend à l’intérieur. On espère que Georges viendra et, soudain, Georges arrive. Il découvre le travail de la veille, les explications données sur le projet. Patrice lui demande d’écrire quelques mots sur la signification du 41, sur les signes 2 et 5 – ce qu’il avait commencé à raconter le premier jour.
Il accepte avec plaisir, commence à écrire. Au milieu, poussé par ses interlocuteurs, il se lance à l’oral, avec beaucoup d’enthousiasme. Une grande discussion commence, qu’il serait bien difficile de rapporter ici, en entier, et sans fausser ce qui a été dit. Je souhaite donc préciser que je rapporte ces propos en me raccrochant au souvenir et à la maigre perception et compréhension que j’en ai eu. A lire comme une poésie donc. Il n’y a absolument aucun jugement ni second degrés, la discussion était réellement passionnante et juste.
Georges se lance dans l’explication des chiffres et de leur signification. Au milieu, il dit que le monde a été créé en 7 jours, mais que le jour 1 n’est pas le jour 1, c’est le jour 0. Que le 0 est important. Il est le début. Le 1, c’est la vie. Le 1 vient vivifier le 0. Il parle aussi du miroir, le 5 et le 2 en miroir. Le signe du 5 et du 2 en miroir est à l’origine de l’écriture Kongo. Il y a aussi une histoire d’ADN. ADN, c’est ce qui nous compose, mais si on le met en miroir, ça donne NAD (il dit NAD au début) et le NAD c’est le nù, c’est ce qui fait l’Homme. Ce qu’est l’Homme. Le feu de l’Homme. Matilde relève : le miroir d’ADN, n’est ce pas NDA ? Si, ça marche aussi. Là, c’est encore plus fort. Le NDA, c’est la maturité. Il parle des voyelles qui sont des vibrations et des consonnes qui sont des manifestations (magnifique). « Vibration, manifestation, c’est la vie ! C’est nous quoi ! ». Georges est très expressif, tout le monde écoute, concentré pour suivre.
Le chiffre 4 est celui de la maturité, l’enfant grandit. Le 5, il devient ce qu’il est. Le 6, c’est l’élévation. Là, intervient l’adulte (un adulte qui sait, qui est fait pour ça) qui va trouver ce pour quoi l’enfant est fait et le diriger. Le 7, c’est l’âge de « l’accomplissement » (ne dit-on pas l’âge de la raison chez nous ?). Quand au 8 et au 9, on ne saura jamais. Il faudrait plusieurs jours pour avoir accès aux connaissances, de toute façon. Tout fait extrêmement sens et rien ne le fait – un peu quand on tente de s’expliquer le cosmos, l’infiniment petit ou la fission nucléaire par exemple.
Le chiffre 41, en tout cas, trouve son explication : le 4, c’est la maturité. Le 1 c’est la vivification. 41 est donc la maturité vivifiée.
Tassadit, entre temps, est arrivée. Alors que Georges continue à écrire, elle part à la chasse aux images avec Benoît pour continuer à illustrer les mots choisis la veille. Il en reste encore pas mal. Un cendrier/bateau se met à filer dans une flaque – libre. Pour illustrer le mot Fidèle ?, il y aura une histoire de miroir, en écho à ce que Georges racontait ce matin, dans laquelle Benoît s’embourbe un peu, compliqué à expliquer, compliqué à photographier. Georges dit que le reflet de la réalité est la réalité. Ou quelque chose de ce genre.
Passage à la boulangerie pour prendre un millefeuille – avec, en fond sonore, la boulangère qui soupire et explique que sa journée a mal commencé, ce genre de journée dont on se passerait bien, avec le four qui ne marche plus, entre autres, “si vous voyez ce que je veux dire”.
A 14 h, après le repas, Georges et Tassadit reviennent pour partager le dessert – plusieurs gâteaux (très sucrés) achetés à la boulangerie. C’est aussi le temps pour reprendre tout ce qui a été fait, essayer de lui donner une consistance et commencer, pourquoi pas, à envisager une forme, réfléchir à comment les choses pourront se poursuivre, à Clermont de l’Oise avec les jeunes. Il apparaît assez vite que plusieurs pistes ont été ébauchées et qu’il peut être intéressant de les laisser vivre chacune de manière indépendante dans l’objet final. Composer un ensemble fait de fragments, qui entre en écho ou pas, qui forme une trace poétique de l’expérience. Un ensemble qui parle de symbole, de signe, de vie et de mort, de cassure, de légèreté, d’absurde, de voiture et de camion, de langage.
Benoît dit « on a essayé de créer ensemble sans vocabulaire commun. » Ce qui résume plutôt bien l’expérience. Sur tous les plans. C’est bien ce qui fait la difficulté mais aussi l’intérêt – essayer de trouver un vocabulaire commun. C’est probablement banal à dire, mais finalement n’est-ce pas ce que nous cherchons dans ce type d’intervention ? Georges dit : « traduire ce qui paraît évident pour soi afin que ça soit évident à tout le monde. » Traduire. Est-ce que le vocabulaire “trouvé” cette semaine (la matière réalisée) devra être traduit pour être perçu ? En l’occurrence, peut-être rester dans une traduction Google – absurde, poétique.
Benoît partage l’expérience de prise de vue avec Tassadit du matin, il trouve là qu’une nouvelle étape a été franchi pour produire la photographie, une mise en œuvre plus subtile. Comme cette image de poulets embrochés en train de rôtir pour le mot mort. Patrice : maintenant quand je mange un poulet, je mange la mort. Georges : dans la langue Kongo, les mots sont organisés en classe et la mort est dans la même classe que le repas… La mort n’est pas une catastrophe, ajoute-t-il. C’est une transformation, une élévation. “Je ne suis pas que la terre.”
Benoît dit qu’à chaque intervention, il repart avec une question. Cette fois, ce qui l’interroge, c’est qu’il aura demandé au groupe de commencer par quelque chose que lui-même a mis des années à appréhender et à construire : produire une image dégagée de tous carcans esthétiques, dégagées de certaines règles inculquées (perspective, règle d’or etc.) pour trouver une autre sorte d’esthétique (précise cependant, ce n’est pas non plus n’importe quoi). Ça n’est pas évident à formuler ou à comprendre. Georges dis : finalement la photo nous montre des symboles (de l’ordre du signe aussi) donc il est possible d’interpréter ce que l’on veut. Tout a un sens suivant comment on l’interprète. Certes, mais il est aussi intéressant (pour un artiste, une structure, peu importe) de confronter cette interprétation, la modeler, l’affiner et, peut-être, arriver à se rejoindre dans une interprétation commune ?
La semaine de création se termine, l’orage du matin s’est calmé.